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Pour ou contre Pantin.e

Association d’art oratoire, Graine d’Orateur 93 forme à la rhétorique les jeunes partout en France et amène ses bénéficiaires et bénévoles à la réflexion sur tout sujet, notamment à travers l’apprentissage du débat contradictoire, afin de faire évoluer le dialogue et l’esprit critique de chacun. L’affaire du « e » de Pantine était l’occasion de mettre en pratique

un exercice de rhétorique sur le mode du pour ou contre.


Texte de Badis Djouhri et Noam Vives, formateurs de Graine d’Orateur 93 et étudiants.


POUR / Pantine, une lettre pour changer une mentalité vieille de 2000 ans

Les pionniers de tout changement profond faisant nécessairement parler de leurs actions, l’ajout d’un « e » pour renommer Pantin en Pantine n’a pas fait exception. Ajouter ici un « e » porte l’attention et visiblement choque par l’emploi d’une simple lettre qui transforme un nom masculin en un nom féminin. Ainsi, lorsque c’est le changement de nom pour Pantine qui est médiatisé, c’est en réalité le passage au féminin qui est questionné et mis en lumière. Si ce débat suscite d’ailleurs tant d’émois, c’est parce que, au-delà de la question de la langue, il renvoie au sujet plus politique des rapports de pouvoir femmes-hommes. Dès lors, ce geste, décris comme purement symbolique, entraîne en réalité des prises de conscience politiques et des débats bien concrets. En effet, comme dans toute société, le langage est un reflet des relations de pouvoir au sein d’un groupe. Ainsi, dans la langue française, le masculin l’emporte sur le féminin, ce que l’on retrouve, tel un miroir, dans la société où les hommes sont mieux rémunérés que les femmes et occupent plus de postes de pouvoir.


Or, à l’heure où les inégalités femmes-hommes persistent dans notre société, il est nécessaire de comprendre que l’utilisation du langage, outil témoignant notamment des relations de pouvoir entre les sexes, peut avoir une répercussion dans nos rapports sociaux. Justement, ajouter un « e » à la ville de Pantin permet ici l’électrochoc et la médiatisation des problématiques autour de ces relations. La mise en lumière de ce sujet grâce à un simple « e » permet ici que les médias et la population s’intéressent de plus près à la place de la femme dans notre société, et aux discriminations que ces femmes subissent. Ainsi, les conséquences de l’ajout d’une simple lettre permettent déjà d’aiguiser l’esprit critique et de partager des connaissances sur la place de la femme dans notre société. Plus encore, les enjeux de ce sujet pourront toucher certaines personnes qui n’y étaient pas sensibles et donc, mobiliser plus de personnes autour du combat pour l’égalité femmes-hommes dans la société. D’ailleurs, cette opportunité d’éveil aux problématiques sociales n’entraîne aucun coût, si ce n’est une goutte d’encre en plus sur les lettres signées par le maire, mais ne peut entraîner que des bénéfices, puisque ce débat et ses éléments seront connus d’un plus grand nombre. Or, tout changement structurel commence justement par une prise de conscience de masse, notamment possible grâce à la médiatisation autour de Pantine.


En cela, il est essentiel d’ajouter un « e » à Pantin pour le transformer en Pantine, afin de sensibiliser et instruire plus de personnes sur les relations de pouvoirs femmes-hommes, de créer plus de mobilisation autour des inégalités qui en découlent, et de mesurer leurs répercussions sur notre démocratie.


CONTRE / Pantine, le féminisme qui marche sur des « e »

Les actes sexistes sont la conséquence d’inégalités de genre, un véritable enjeu de société auquel Bertrand Kern, premier élu de Pantin, répond par : la ville de Pantin devient Pantine le temps de l’année 2023. L’ajout de ce « e », minuscule, est une démarche symbolique de lutte pour la juste représentation des femmes dans notre société. Or, pour qu’une action de la sorte agisse, et donc pour réduire les actes sexistes, il faut investir dans les dispositifs d’éducation, de prévention et de protection à destination de la population : plus de moyens pour la police municipale, les associations, interventions dans les établissements scolaires…


Cette démarche qui devrait être concrète, comme l’exige l’utilisation classique d’un symbole, ne l’est en fait pas du tout : très peu de gens semblent en comprendre son sens profond et elle ne change pas les politiques de la ville existantes. Ce « e » ne permettra pas aux Pantinoises de se balader plus sereinement le long du canal de l’Ourcq les soirs d’été. L’éducation par symbolisme ne suffit pas, ce « e » seul est donc inopérant car il n’est pas accompagné d’explications pour sensibiliser et éduquer la population sur les inégalités de genre et il semble difficile, en un an seulement (puisque la mesure a été prise dans le cadre de la nouvelle année 2023), d’éduquer la population et d’avoir un réel impact sur son comportement. En proposant une solution symbolique à un problème de société, la ville transmet le message que l'on combat le sexisme à coup de grammaire plutôt qu’avec des décisions fortes et concrètes. En faisant ça, la ville ne pousse pas ses citoyens à agir, à proposer, à appliquer et à voter pour des mesures concrètes. Sept mois plus tard, nous attendons le bilan de bénéfices sociaux concrets et durables qui ont profité aux Pantinoises. Ce « e » n’est qu’un placebo éphémère contre une maladie persistante qui ne se soignera

que par la prescription d’une médecine lourde.


Le débat amène une réflexion sur les différences entre les symboles et les actes, il convient donc de comprendre ce qui les oppose ou les unis. Le symbole pousse-t-il à l’action ou l’empêche-t-il par effet placebo"? Dans le cadre des problématiques sociétales comme l’inégalité de genre, l’action concrète peut-elle prospérer sans symbole fort et visible ?

N’ayant de féministe que l’apparence, cette démarche affaiblit les mouvements

féministes : les retours médiatiques, négatifs pour la plupart, et les moqueries décrédibilisent, affaiblissent les actes féministes concrets, utiles, et confortent les sexistes dans leur position. Les féministes endossent, encore, le rôle des parleurs qui n’agissent pas concrètement.

Cette action a donc des répercussions en défaveur du combat contre les inégalités, elle est donc antiféministe.


Si ce minuscule « e » ne profite pas aux femmes de la commune, il profite bien aux politiciens qui l’ont mis en place. Cette action vitrine entre dans l’intérêt de l’équipe de la ville quand on sait que les mesures symboliques autour des problématiques de genre sont particulièrement appréciées par la population Pantinoise gentrifiée, que la ville cherche à séduire et dont le poids électoral n’est pas à négliger. Un pouvoir politique conséquent qui a autant d’impact sur le bien-être réel des habitants que sur le portefeuille du maire : aucun.


C’est une opportunité de se montrer investi, fort, généreux aux yeux des autres sans daigner écouter l’avis des siens et de ses quelques 30 125 personnes concernées. En effet, « la décision n’ayant pas été votée au Conseil municipal » selon un élu de la ville, décrédibilise l’intention des décideurs. Pantine semble n’être qu’une réponse d’apparence, vitrine, faussement pour les concernées et véritablement sans les concernées, qui n’encourage pas ses habitants aux vrais changements mais bel et bien à combattre les inégalités

à coup de com’. « Boxe avec les mots » comme disait Arsenik.


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